Moi, Sac à dos par Michel TURK

Quand nous entendions, mon maître, ma maîtresse et moi le chant fluté du loriot, c’était signe que le printemps était là. On parle généralement des hirondelles mais le loriot est chez nous ce que le chevalier gambette est à l’Islande, la preuve de l’arrivée d’une saison. Chevalier gambette, ça m’a toujours fait rire, comme l’échasse blanche avec son corps perché. Mais d’entendre le loriot ne suffit pas à le voir. Car ce coquin est plutôt moqueur, plus que le merle du temps des cerises, il en fait un jeu de s’éclipser dans les frondaisons des peupliers blancs. Mais quand on a la chance de l’apercevoir, le mâle surtout, même furtivement, on garde son image en tête des heures durant. Bec rouge, plumage d’un jaune prononcé qui tranche avec des ailes noires. Ils viennent d’Afrique fin avril et repartent dès la fin juillet, restent chez nous juste le temps de se reproduire. C’est bien sûr, je pourrais vous écrire une anthologie sur les oiseaux, plusieurs même, mais là, ce que je vous livre vous devez le recevoir comme une mise en bouche, une mise en appétit, juste de quoi exciter votre curiosité et votre envie d’en connaître davantage. Moi-même, simple sac à dos, je n’ai pas mis bien longtemps à suivre allègrement mon maître sur le terrain de l’avifaune, c’était plus compliqué quand il allait en montagne pour collectionner des sommets sur lesquels je me gelais quand je ne prenais pas la neige ou la pluie. Si, si, les oiseaux, bien ! D’abord il ne me chargeait pas comme une mule, et j’apprenais toujours quelque chose quand il échangeait avec ma maîtresse sur ce qu’ils venaient d’observer. J’arrête là le récit oiseaux mais j’y reviendrai sans aucun doute. Et avant de passer à autre chose, je me dois de vous raconter une anecdote assez singulière : nous avons fait la connaissance d’un poète qui se nomme Jean-Marie Wicki, un gars qui comme nous observe les oiseaux et la nature en général. Plutôt fortuite, la rencontre. Mais Jean-Marie s’est immédiatement proposé de partager avec mon maître les rimes qui apportent aux descriptions faites une richesse inouïe. Un complément d’objet en quelque sorte. J’en ai en mémoire, en voici deux qui me rappellent un peu Esope ou Jean de La Fontaine. Certes Esope et La Fontaine étaient quand même un peu trop donneurs de leçons à mon goût tandis que Jean-Marie est dans le lyrisme, chez lui les vers sont dans le fruit, pardon, ça m’a échappé, je vais encore me faire écharper. Je voulais dire, chez lui versifier c’est faire fructifier ses pensées, enrichir l’image en la faisant parler :
La leçon du Pigeon Dans la froidure d’un soir de mai Un merle en smoking improvisait. Son voisin ramier fort impressionné, Lui demanda d’un air passionné : « Ami, dites-moi quel est le secret De vos refrains suaves et guillerets ? Moi qui caracoule sans autre façon, Je prendrais volontiers quelques leçons. »Le merle essaya, tout en sifflant D’enseigner le chant à ce débutant« Soufflez, tout en pinçant votre larynx ! Cela comprimera votre syrinx, Vous permettant immédiatement De porter votre voix au firmament. »Le pigeon, étant sûr d’avoir compris, Entonne une sérénade avec esprit ; Faisant fuir le soliste en tenue de gala, Au-dessus des toits, près de l’opéra. Renonçant à cette bagatelle, L’élève reprit sa ritournelle : « Je préfère encore roucouler | L’écureuil et le pic Un écureuil, se gavant de faînes Était en équilibre précaire. Un pic, taché de noir comme l’ébène, Forait une branche séculaire. Tout en lorgnant le funambule au ton roux, Il lui adressa ces propos aigres-doux :« Je vois que vous êtes fort préoccupé De vous maintenir sur vos quatre pieds ; Comme moi, vous devriez voler Pour remplir votre garde-manger. » Le rongeur, faisant fi de l’offense, Répondit avec grandiloquence :« Sachez que je n’ai besoin d’aucun ver Pour assouvir mes menus et desserts ; Encore moins de vos plumes primairesDans mes acrobaties légendaires. Mon panache éventuellement me sert De balancier, dans la ramure légère. » Vexé, le bel oiseau changea de quartier, Délaissant le mammifère contrarié. Pour une rencontre agréable, Il est d’usage d’être aimable. Nos deux compères se sont quittés Sans qu’aucun des deux soit apaisé. |