Sac à dos par Michel TURK

Des nouvelles de Lorraine

Sac à dos par Michel TURK

3 novembre 2025 Associé 0

Comme je le disais donc, l’amour, c’est peut-être avant tout, et beaucoup plus prosaïquement (tiens, je parle comme lui) cet instinct qui veut que les espèces se reproduisent, un peu comme une fuite en avant vers je ne sais quoi. Mais quand on parle des bagnoles, des caisses, ou des sacs à dos, la question de la reproduction n’est pas vraiment génétique, elle serait plutôt économique, d’après ce que j’ai cru comprendre. Y’en a qui feraient même la guerre pour ça. Alors l’amour, parlons-en. À écouter autour de moi, je finis par croire que ceux qui décident des guerres sont aussi ceux qui vivent dans la ouate et qu’on nomme les décideurs. La fraternité, foutaise qu’il dit ! Tout en ajoutant qu’il a essayé à titre personnel de n’avoir pas trop de casseroles à traîner. Le mépris qu’il me manifeste parfois, à moi son fidèle serviteur, serait-elle au rang des erreurs qu’il concède du bout des lèvres ? Je dis parfois, parce que je croyais qu’il m’aimait. Il suffisait d’une petite tape, furtive, pour me dire combien il m’avait trimballé et déjà, naïvement, je croyais à une déclaration d’amour, c’est pas beau ça ?

Ne soyons pas toujours rabat-joie, le genre humain est capable de grandes choses et certains font même preuve d’une grande solidarité, on aide le copain qui est dans la mouise et on ne compte pas. Un gars qui se faisait appeler Molière avait écrit une pièce qui s’appelle Le Misanthrope dans laquelle il met en opposition Alceste et Philinte, encore que d’après mon maître, ils ne soient pas toujours aussi éloignés l’un de l’autre, mais Philinte est dans la nuance tandis qu’Alceste est de bois brut. Combien de fois ai-je entendu mon maître déclamer cette diatribe d’Alceste : « Je hais tous les hommes, les uns parce qu’ils sont méchants et malfaisants et les autres, parce qu’aux méchants, ils sont complaisants ». Alors moi, ma réflexion, quand j’entends ce qui se passe dans le monde, c’est quand même d’accorder un peu de crédit à cet atrabilaire amoureux comme Jean-Baptiste Poquelin l’avait lui-même nommé. Comme vous avez pu le constater par vous-même, je cite pas mal d’auteurs, c’est carrément du copiage, carrément, comme disent les jeunes aujourd’hui pour asseoir une évidence, car étant fait de matériaux composites et malgré que je ne sois pas doté de l’intelligence artificielle, je suis incapable d’émettre un jugement personnel sur quoi que ce soit. Alors je pioche par ci, par là. Et j’essaie d’être cohérent, ce qui n’est pas si simple quand on sait que je n’ai jamais été au théâtre ou à l’opéra, tout juste dans quelques musées avant qu’on m’y interdise de peur que j’emporte la Vénus de Milo, et par conséquent qu’il m’est plus facile de parler popote de bivouac, oiseaux et fleurs, ciels étoilés certains soirs d’hiver quand il bivouaquait en altitude. Il, c’est lui, mon maître, je ne vais pas le répéter à chaque fois. Alors la grande ourse, l’étoile polaire et la formation de la glace sur moi-même avec les températures abyssales de la haute montagne, tout ça n’a pas de secret pour moi.

Mais l’amour, c’est autre chose, c’est plus compliqué, moi par exemple, mon maître, je l’aime, nous formons un couple très solidaire, lui devant et moi derrière, mais qu’importe ! Et pourtant, des fois, je le déteste, par exemple quand il a la mauvaise grâce de me charger de tablettes de chocolat à Oman, au bout de la péninsule arabique, là où même en janvier il fait des températures insoutenables et tout ça pour aller voir un drome ardéole, vous avez bien lu, je n’ai pas dit drone de combat, ça je le laisse aux belliqueux, mais sans me la péter, il s’agit d’un oiseau noir et blanc plutôt élégant, si ce n’est son bec en galoche qui jure un peu avec le reste. Donc tout ça pour vous dire que l’amour, c’est très compliqué. C’est souvent une histoire de compromis, de concessions et la rigueur d’Alceste mène fatalement à l’intolérance. Cette chute, notez-le bien, c’est ma réflexion personnelle. Je n’ai pas fini de vous étonner, voyez-vous !  

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